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27 septembre 2010 1 27 /09 /septembre /2010 20:00

 

Photo0316

 

Devant eux, jeunes gens, je parlais. Tandis que, je sentais venir à moi, par l'arrière du crâne, ou plutôt par dessus l'épaule, comme ces liseurs impolis, une sensation ancienne et incongrue.  J'étais trop occupée à parler pour mettre un nom dessus, une origine, un contexte. Savais seulement que vraiment ça n'avait rien à voir. Ou presque.

Je parlais, je regardais ces grands corps posés sur les chaises, et les chaises démontraient à quel point elles n'étaient pas faites du tout pour cela, recevoir des corps d'adolescents. Eclatait l'évidence que ces corps là sont pour être débout ou allongés, mais pas du tout pliés.

Je parlais, je regardais leurs visages lisses, pas encore tout à fait déployés, et leurs paupières majoritairement baissées avaient quelque chose de beau et de décourageant.

Je cherchais l'origine de cette sensation renouvelée, rééprouvée dans cette situation de leur parler, et je me disais qu'ils n'étaient pas du tout comme des vases qu'on remplit. Ni non plus comme des boites fermées.

Je parlais comme une très longue pluie, me semble t-il, qu'on doit subir sans désagrément majeur. Pensant cela j'ai retrouvé l'adéquation d'avec la sensation ancienne. C'était celle de toucher les feuilles d'un bananier. Ca pousse très vite pareil, mais ce n'est pas tant ça, c'est surtout ce côté faussement imperméable de la feuille. Tout lui glisse dessus, dirait-on. Mais un matin on effleure une feuille en passant, et c'est la feuille qui cette fois-ci vous fait tomber dessus la pluie qu'elle a fabriqué seule dans la nuit.

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23 septembre 2010 4 23 /09 /septembre /2010 21:37

 

 

800px-iule
La iule est un myriapode vivant sous les pierres et qui s’enroule en spirale en cas de danger. Attention, cet animal n’a rien à voir avec l’autruche, qui n’a que deux pattes et est beaucoup plus grosse.

La iule jouit en paix de la pénombre et de l’humidité, méditant à petit pas sur la profondeur de l’humus qui l’accueille.

Vous, promeneur des forêts, arrivez, balourd, comme toujours vous comportant, impérialiste, en pensant que les lieux sont à vous, que les choses sont à prendre. Vous avisez une pierre plate, d’un gris tendre, et qu’un lichen phosphorescent a réussi à tapisser sur sa face Nord. Lourde et imposante, néanmoins familière et parée d’un semblant de confort bourgeois grâce à ce lichen opportun, elle serait parfaite pour s’y asseoir et faire une pause.

Le problème est que comme toute chose, la pierre s’obstine à ne pas vouloir vous servir spontanément, et qu’elle est pour l’instant (pensait-elle : pour toujours) posée selon une inclinaison trop marquée qui rendrait inconfortable toute station assise. Vous auriez les genoux dans la poitrine et le cul de guingois, versant par le Nord, car c’est précisément le penchant de la pierre de ce côté-ci qui a rendu le lichen possible. Il vous faut donc absolument rétablir l’ordre des choses, rendre cette pierre serviable, c’est-à-dire horizontale. Elle se croyait menhir, la voici tabouret. Mais elle  obtempère, n’opposant à vos désirs que la certitude de son poids, qui ne l’empêchera pas d’être déplacée, mais vous vaudra un tour de rein. C’est le prix qu’on paye généralement à vouloir plier le monde.
Ce prix là, plus d'insignifiants dommages collatéraux. Car sous la pierre, la iule roupillait. De tout son long. Les pattes en éventail.  Déployée ainsi, on aurait dit un très grand mot composé presque exclusivement de m et de n : la iule, par sa forme même, révélée comme l’incarnation de ce qui désigne un geste doux et habile, mais paresseux : maniementminimum.

Et voilà que vous la mettez à découvert.

Que peut-elle faire ? Fuir ? Ses trop nombreuses pattes sont une entrave à la vitesse. Faire face ? Mais que peut vous infliger le minus, à vous, le monument ?

Affolée, la iule s’enroule. Se faisant elle devient, l’espace d’un instant, l’avatar subreptice du point d’interrogation, reflétant votre inquiétude devant l’abscons et vil animalcule à peine entrevu. Et zuit, l’instant d’après, en un tour de iule la voici devenue rond, la voici devenue point
A jamais indéchiffrable, elle se renfrogne.

Et que peut-on opposer à un point final, sinon les dégâts que cause tout découragement ? Comme le lecteur qui, épuisé par le poids des mots, referme d’un coup son dictionnaire, vous faites retomber la pierre sur la iule, qui n’en peut mais.

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20 septembre 2010 1 20 /09 /septembre /2010 21:39

  PAINS mie

 

De quoi se nourrir? Du réel, de tout façon il n'y a que ça.

Simplement voilà, on est tellement habitués au glacage par dessus, à tout ce falbala de décoration, de fiction, d'amélioration, que tout nu, tout cru, le gros gâteau semble pâteux, désespérement prévisible. On est là devant, obligés à remâcher, remâcher, remâcher. Et moi je vous le dis tout net : si c'est ça, je n'en irai pas de mon petit couteau pour vous découper une belle tranche de réel en plus. Là n'est pas mon appétit.

C'est qu'on nous trompe de vitrine.

Dans cette manne qu'on nous décrit si fade qu'il faut l'ensucrer, si la même de partout qu'il faudrait la truffer de pépites, se cache quelque chose qui n'a pourtant rien de la fève.

Subitement sous la dent gicle une veine, un jus, un sang acide et tranché qui vous renverse de dégoût, de délice. Car le réel n'est pas de mie, mais de chair, et je suis cannibale communiante mangeant mon proche réel. Il est encore palpitant, vivant sous la dent.

L'étrangeté nous est propre. En nous, entre nous, coule un sang, celui de la beauté et du hasard. C'est cela qui nous nourrit sans nous rassasier, à s'en manger la main.

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14 septembre 2010 2 14 /09 /septembre /2010 22:15

 

Pour me rendre au Lycée Henri Wallon, j'y vais par Quatre-Chemins, puis j'emprunte l'avenue de la République. La toponymie s'amuse, certainement, de mes dispositions d'esprit, à la fois hésitantes et peut-être, selon certains, un peu naïvement citoyennes (d'être naïve n'est pas ce qui me déplait le plus).

Sur cette avenue de la République, je décompte mes pas, je m'apprivoise peu à peu à ce lieu qui ne m'est ni familier ni étranger : juste l'appréhension d'un petit écart, d'à peine la largeur du périphérique. Je marche, je longe. Un café vide. Une boucherie où s'empilent dans un grand bac alu des ailes de poulet à cuire. Une grille rouillée sur laquelle est apposée une pancarte d'urbanisme aux couleurs franches proclamant "Quartier d'avenir, rénovation Quatre-Chemins". Un lycée, mais ce n'est pas encore celui-là. Un magasin de vêtements à 1 euro. Une agence immobilière proposant une maison de 87 m2 dans "secteur en pleine mutation", au prix de 325 000 euros. Un petit bazar sur tréteaux où s'alignent des montres très très dorées, et le vendeur qui dit à une passante, chez moi la qualité n'est jamais chère. Et puis cette petite épicerie, dans Paris intra-muros on appelle ça "un arabe", et passant là devant je me dis que j'ai un creux, j'acheterais bien un paquet de gâteaux. Je vais à la caisse avec mes gaufrettes au chocolat, un petit monsieur en blouse bleue arrive, je le regarde, il me sourit, il s'exclame et je m'exclame, nous nous serrons chaleureusement la main. C'est que ce monsieur et moi nous nous connaissons très bien. C'est lui qui tenait l'épicerie de ma rue, il y a encore deux ans. C'est chez lui que pendant plusieurs années, j'allais acheter, à pas d'heure, la plaquette de beurre manquante, le rouleau de papier toilette indispensable, le petit citron oublié pour mettre sur le poisson, le paquet de gâteaux des petits creux, la pile pour le jeu en panne, les trois bonbons promis, la canette de bière des soirs d'été, le pain aussi, parfois, bref, tout, car chez lui il y avait de tout, plus le sourire. Et ce monsieur, ce fut également la première personne croisée dans ma rue quand j'allais m'y installer, avec son sourire, déjà, comme un bon présage.

Je suis sortie de chez lui, naïvement contente.

Quelques heures plus tard, je croise dans un bus l'actuel épicier de ma rue, qui n'est pas tunisien, lui, mais sri lankais je crois, il me sourit lui aussi, d'un sourire plus timide et doux, et je trouve bien décidément, de participer à ma manière à ce grand déplacement des épiceries.

 

 

 

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7 septembre 2010 2 07 /09 /septembre /2010 22:53

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Savoir combien : ultime question pour toute question, dernier filtre du raisonnement. Quand les masses sont nombreuses, le savoir combien devient une expertise, qui donne lieu à débat, à batailles. Ceux qui ont intérêt à faire baisser le chiffre prendront des nombres d'unités, en abscisse, en ordonnée, et mutipliant le tout trouveront le chiffre décevant. Renieront que la chose a aussi une épaisseur, une profondeur. Oublieront surtout qu'attachées les unes aux autres, les unités ainsi dénombrées flottent mieux, et ne laissent pas tout passer.

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3 septembre 2010 5 03 /09 /septembre /2010 22:03

 

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Lu récemment Les lois de l'hospitalité, d'Olivia Rosenthal. Questions de mots, de langue, de comment la langue, l'ancienne, la nouvelle, viennent habiter le corps quand le corps est habillé d'un autre pays. Ne serait-ce que la quatrième de couverture, il faudrait s'en draper :

"Ca a commencé comme ça, c'est arrivé à mon peuple, c'est arrivé à moi, j'ai toujours fait les choix extrêmes, c'est une chose intérieure, c'est pour ça que j'aime les Tsiganes, je veux garder l'esprit errant, je suis adepte de l'inconnu, je veux aller dans le monde et me découvrir moi-même, je veux rester un nomade, je veux rester un étranger, je veux pas lâcher cette souffrance parce qu'à la pointe d'elle il y a quelque chose de neuf qui aiguise ton désir de vivre".

J'ai rendez-vous avec quelques amis demain à 14h Place de la République, parce que ces mots me parlent, et que je sais qu'ils ne parlent pas qu'à moi. 

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2 septembre 2010 4 02 /09 /septembre /2010 05:56

 

 

Photo0196-copie-1

De ma première journée au lycée Henri Wallon d'Aubervilliers : une moisson de visages, un combat difficile avec une photocopieuse, la participation à une réunion de pré-rentrée inquiète, et ce détail auquel je me suis accrochée dans un couloir : fragment d'une fresque murale racontant visiblement un bout d'histoire indienne, mais les personnes interrogées n'en savaient pas plus : "dépêche toi de le photographier, ça va bientôt être recouvert par du carrelage toute cette partie là".

"The nation is proud of you" Me suis souvenue qu'en situant le lycée sur une carte, la toponymie m'avait frappée : sis rue des Cités, laquelle débouche à gauche sur l'avenue de la Nouvelle France. Je me suis dit, confusément sans doute, que nous avions certainement des motifs de fierté à reconnaitre plus haut dans ces endroits là, ces endroits d'enseignement et d'éducation. Fierté pour ce métier, fierté pour notre jeunesse. Sans avoir besoin de coller ni aux uns ni aux autres des képis et de raides salut. 

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31 août 2010 2 31 /08 /août /2010 11:20

Photo0185

Angine épouvantable, extinction de voix : ça tombe bien, demain je dois présenter oralement le projet de résidence aux 110 professeurs du Lycée Henri Wallon. Ce sont le genre de petites niches (non fiscales, même s'il y a un prix à payer) que la vie vous réserve, et qui prémunit assez bien contre l'esprit de sérieux.

Pas grave, écrire, c'est une manière silencieuse d'explorer la voix. Silencieuse, au moins dans un premier temps. Ce silence là, c'est comme un nid. Dedans mûrissent des chants, des cris, des déflagrations pour après.

Et puisqu'il s'agit du prix de parler, lire absolument ce très beau texte de François Bon, où j'ai retrouvé ce que j'avais perçu chez lui un jour, après une lecture, de cette nécessité de retrait après parole

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28 août 2010 6 28 /08 /août /2010 14:32

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Un certain nombre de plots ont été installés au devant de nous.  Ils sont là, ils cantonnent nos cheminements. Nous restons en deça, toujours, car nous savons qu'ils sont là pour notre sécurité. Ceci est fort bien, mais il se trouve que plus le temps passe plus il y a lieu de s'interroger sur la finalité exacte de ces voies préservées. Nous n'avons pas forcément beaucoup de force, sauf peut-être celle de refuser la peur. Nous pouvons, parfois, sans vandalisme mais avec détermination, desceller de temps en temps quelques plots et aller voir là où on ne nous attend pas : dans l'espace public.

Ces quelques mots pour enfoncer le clou, après avoir descellé les plots je conçois que cela soit troublant mais c'est ainsi, sur ce qui m'intéresse dans un projet d'écriture au Lycée Henri Wallon. Vous trouverez ici un texte un peu plus long présentant mon projet.

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20 août 2010 5 20 /08 /août /2010 16:43

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Devant sa propre vie, avoir le sentiment, invérifiable mais tenace, qu'il s'agit d'un même document, bien que composé de nombreuses notes aux objets divers. Un gros rapport, en somme, bourré d'annexes, de notices techniques. et comportant des renvois à plus tard innombrables. Néanmoins, les rendus intermédiaires étant parfois requis, on se retrouve contraint de faire tenir ensemble ce qui déjà s'est accumulé. 

Qui s'est déjà essayé à attacher une liasse au moyen de la reliure à spirale comprendra sans doute la gageure.

Première étape, cruciale : choisir le bon diamètre de la spirale. Trop petit, les pages s'échapperont rapidement, trop gros, et le rapport paraitra aussi présomptueux qu'il est mince. 

Seconde étape : la perforation des feuilles. Il faut procéder généralement par petits paquets, au risque sinon d'empêcher les dents de la perforeuse d'opérer. Cela est fastidieux, comme toute chose requérant méthode et patience. Fastidieux et périlleux : car, si entre deux paquets le calage n'est pas exactement identique, ce sont deux morceaux de vie irrémédiablement décalés. 

Ultime et décisive étape : enfiler toutes les languettes de plastique dans tous les trous alignés. Généralement les languettes rebiquent et les trous récalcitrent. 

Bref, l'exercice est harassant. Harassant mais nécessaire. Car ce n'est qu'une fois que la reliure est refermée, et le document ainsi présenté sous sa couverture transparente, qu'il devient crédible. Vous avez beau savoir, vous le producteur du document, que l'unité existait déjà dans tout ce fatras de feuilles volantes, vous ne devez votre unité qu'à l'artifice somme toute bien pauvre de la reliure à spirale.

Tout ça pour dire, que je m'apprête à rajouter quelques pages de couleur différente à la liasse, et que je me prévois quelques soucis au calage de la perforeuse. 

En clair, je suis, malgré ce petit souci technique, très contente d'annoncer ici que je vais dans peu de temps débuter une résidence d'écrivain grâce à un dispositif proposé par la Région Ile-de-France. Changement temporaire de vie, pour me consacrer à l'écriture plus... resserrée ?... de l'histoire de Nathalie Pages : encore une vie, en effet, dont les feuillets s'envolent et pourtant s'épousent. Je retracerai, certainement sous des formes différentes, partie de ces nouveaux feuillets (les miens, ceux de Nathalie) ici, mais aussi sur le site de remue.net qui propose un bel accueil aux auteurs en résidence. (Vous pourrez aussi suivre les autres résidences ici.)

Quant à relier, relier, relier, dans ce projet avec le Lycée Henri Wallon d'Aubervilliers,  j'en vois l'idée pas seulement pour ma propre vie, et je voudrais bien que ceci contribue un petit peu à ce que soit abandonnée la tentation facile et aujourd'hui très appuyée d'arracher certaines pages de notre vie collective (Et tant pis si, sous la couverture transparente, nous ne trouvons pas de titre).

 

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